N’en veuillons pas (trop) à nos jeunes!

Il y a une vingtaine d’années, une étrange loi a été adoptée par le Grand Conseil genevois. Il s’agissait d’interdire la vente d’alcool dans les stations-service et les vidéo-clubs dès 21h. Les défenseurs de cette mesure prônaient la protection des jeunes contre les abus d’alcool nocturnes, tandis que les détracteurs vantaient la liberté de commerce, y ajoutant toutefois un détail qui prend toute son importance. « Pourquoi leur interdire d’acheter de l’alcool dès 21h dans les commerces ouverts à ces horaires, alors que quiconque souhaite boire peut très bien acheter sa boisson dans les magasins alimentaires pendant les horaires diurnes ? » ont-ils argumenté.

La loi a été mise en application à Genève, et quelques années plus tard dans le canton de Vaud. Qui de ses promoteurs et détracteurs a eu raison ? Selon les sources très fiables de l’association Addiction « La statistique médicale des hôpitaux pour les années 2002-2007 dans le canton de Genève et 2010-2016 dans celui du canton de Vaud a été utilisée comme source de données. L’étude compare les hospitalisations avant et après l’introduction du «régime de nuit» en 2005 (Genève), et entre 2013 et 2015 (Vaud) par rapport à d’autres cantons où il n’existe pas de restrictions. Les résultats montrent que la limitation des ventes d’alcool est l’une des mesures préventives les plus efficaces pour endiguer les intoxications alcooliques et ses conséquences. »

Que s’est-il passé ? Les neurosciences nous donnent des clés de lecture qui n’ont certainement pas été envisagées par les partisans de la liberté de commerce. Oui, on peut aller acheter son alcool pendant la journée en prévision d’une soirée bien arrosée, mais cela vaut pour des personnes dont le cortex préfrontal est bien achevé, c’est-à-dire des adultes au-delà de 25 ans. En effet, les récentes découvertes de cette disciple passionnante qui étudie les comportements par le prisme des fonctions cérébrales nous apprennent que les fonction supérieures de notre cerveau nécessitent l’achèvement des connections neuronales qui advient à l’âge adulte. Ces fonctions dites supérieures comprennent la morale, la capacité à gérer les impulsions, à prendre des décisions, et à…. anticiper ! Les adolescents n’ont pas encore acquis cette capacité d’anticipation, ce qui explique les comportements parfois extrêmes de ces jeunes qui se mettent en danger faute d’avoir réfléchi aux conséquences de leurs actes. Quand nous entendons qu’un ado a perdu la vie ou a été gravement accidenté à cause de comportement irresponsables, notamment sur la route, rappelons-nous leur défaut d’anticipation avant de les juger !

Alors que je suivais récemment une passionnante formation[1] où il était question de neurosciences, je demandais au professeur Olivier Jorand comment interagir avec ces jeunes dont le cortex préfrontal n’est pas entièrement développé. « Faute de s’appuyer sur leur cortex, m’a-t-il répondu, il s’appuyeront sur le cortex des personnes adultes qui les encadrent ». Parents, enseignants, proches, il nous appartient donc de leur poser des cadres. Cela peut être une loi, comme dans l’exemple que j’ai cité, mais aussi des règles, des interdictions, des limites.

N’en veuillons pas trop à nos jeunes, mais n’hésitons pas à prendre les mesures propres à les protéger et les guider jusqu’à la maturité. Et quand j’ai articulé au professeur Jorand le chiffre de 25 ans pour évoquer le développement cérébral, celui-ci m’a répondu « … 25 ans, vous êtes gentille ! souvent c’est plutôt 30, voire 35 ans… » De quoi poser un autre regard plus empathique sur la jeunesse.

[1] Séminaire de formation continu Du nouveau dans la motivation : Faire quand l’envie manque, du fonctionnement cérébral aux leviers psychologiques, professeurs Olivier Jorand et Yves-Alexandre Thalmann.